mercredi 16 décembre 2009

QUEL TEMPS FAIT-IL DEHORS ?

Jeunesse, adonnez vous au poison !

Du haut de nos dix ans nous attirions par la ruse cet être étrange qui semblait nous comprendre et tous, nous étions certainement inconscients de ce que cela présageait. Plus tard, moins d’insouciance et beaucoup plus de finesse nous portait à utiliser tout ce que notre nature ingrate nous avait offert en compensation à la peur…

Rien n’était indécent chez ces filles, rien n’était provocant. Pourtant, la plus banale d’entre elles nous faisait rêver et ces rêves qui nous faisaient violence étaient ce qui nous faisait sentir pour la première fois que nous étions vivants…

Nous avions laissé notre admiration d’enfant pour l’uniforme du flic et du militaire loin derrière nous et si le pompier gardait toute notre estime, c’était parce que nos reins n’avaient jamais rencontré ses bottes. Pourtant le bâton était pratiqué pour nos pères, mais en d’autres circonstances. Certains avaient plus de chance que d’autres, le père ne sortait le bâton que pendant la période pré-électorale pour lui faire prendre place dans le coffre de la R16, avec la colle et les affiches aux poings levés…

Nous n’étions pas tous avantagés de la même façon. Il y avait les costaux et les maigrichons. Les premiers emballaient facilement les filles, ils avaient l’avantage du muscle, mais leur gloire était éphémère. Les seconds profitaient du tri fait par les premiers et la subtilité qu’ils avaient acquise par survie leur ouvrait des mystères autrement plus intéressants…

L’école était obligatoire, c’est ce qui, à nos yeux, la rendait détestable, mais pour quelques-uns, la soumission, l’habitude, la menace ou peut-être une part de joyeuse insouciance trop vite desséchée avait dessiné dans les yeux le plan précis d’une vie qui ressemblait à toutes les vies…

Elles étaient toutes attirante. C’était cela le drame. Il fallait grandir pour en profiter, pour en savoir plus, pour en connaitre plus. Et ce que nous dévoilait avec un raffinement sadique les films en cinémascope jouait contre nous. Nous n’étions des héros que quand nous étions seuls avec nous-mêmes…

Nos jeux étaient innocents. La brutalité, le geste agressif était la garantie de rester en vie longtemps. Aucun d’entre nous n’aurait admis l’idée d’être l’idiot de service…

Les petits coins discrets, les bancs solitaires, les terrils noyés sous les bouleaux et d’autres endroits plus obscurs encore, masquaient nos amours imprécis…

Combien de temps nous aura-t-il fallût pour comprendre qu’il fait froid dehors ?




E.P


(Extrait de "passé bouclé" 2009)

dimanche 6 décembre 2009

L'AMER À LA HOULE




Chaque mort est un faux semblant
Chaque vie une irresponsabilité de plus
Mais qui nous croira
Nous qui ne sommes pas des anges
Nous qui n'avons jamais rien dit d'important.

E.P


(Extrait de "L'amer à la houle", 1993-1994)

vendredi 4 décembre 2009

SENZA VERGOGNA...



" L'Italie résume les contradictions sociales du monde entier, et tente, à la manière que l'on sait, d'amalgamer dans un seul pays la Sainte Alliance répressive du pouvoir de classe, bourgeois et bureaucratique-totalitaire, qui déjà fonctionne ouvertement sur toute la surface de la terre, dans la solidarité économique et policière de tous les États; quoique, là aussi, non sans quelques discussions et règlements de comptes à l'Italienne."

Guy Debord


(Texte extrait de "Préface à la quatrième édition italienne de La Société du Spectacle" Guy Debord, 1979. Dessin, E.P)

mercredi 8 juillet 2009

OUBLIETTES

"Ils bâtirent une prison et la nommèrent
zone d’habitation..."

Lémi





"Les fabricateurs d'objets inutiles, que nous nommerons, pour abréger et pour ne pas blesser leur dangereuse susceptibilité, les Fabricateurs tout court, n'appellent jamais les choses par leur noms. Quelques-uns vivent dans des maisons de verre qu'ils appellent des tours d'ivoire, quelques autres dans des caisses de béton qu'ils appellent des maisons de verre, beaucoup dans des cabinets noirs de photographe qu'ils appellent la nature, beaucoup encore dans des cages à cynocéphales, des grottes à vampires, des parcs à pingouins, des théâtres à puces, des baraques à marionnettes, qu'ils appellent le monde ou la société; tous, enfin, chérissent et cajolent un des viscères de leur corps, généralement le moins bon, intestin, foie, poumon, corps thyroïde ou cerveau, le caressent, le parent de fleurs et de bijoux, le bourrent de friandises, l'appellent "mon âme", "ma vie", "ma vérité", et ils sont prêts à laver dans le sang la moindre insulte qui serait faite à l'objet de leur dévotion interne. Ils appellent cela vivre dans le monde des idées."

René Daumal



(Texte extrait de " La grande beuverie" René Daumal, 1938. Dessin, E.P)

mardi 2 juin 2009

ESTROPIÉ

« La Démocratie ne viendra pas
Aujourd’hui, cette année,
Ni jamais
Par le compromis ou par la peur. »

Langston Hughes




À force de s’oublier on s’en étonne encore.

E.P

mercredi 20 mai 2009

PATHOLOGIE DE LA PILE



"Nous sommes si liés au monde du travail que nous ne voyons guère le mal qu'il nous fait. Il nous faut compter sur des observateurs venus d'autres âges ou d'autres cultures pour apprécier l'extrême gravité pathologique de notre situation présente."

Bob Black


(Texte extrait de "Travailler, moi? Jamais!" Bob Black, 1985. Dessin, E.P)

vendredi 1 mai 2009

ACCOMPLIS GRASSEMENT TON PETIT LOINTAIN

"Tous deux sommes le temps même
(ni l’un ni l’autre)
mon trésor,
quand les violettes apparaissent."

E.E. Cummings





En ce jour de grasse matinée
Aux grâces patinées,
La pleureuse lisse à ton cou que tu largement ça.

Aussi bien fait
Qu’il est permis de penser,
Au fond d’elle-même tu accomplis grassement ton petit lointain.

Brusquement alors
L’alvéole répond,
Que simplement parfois le sourire s’inhale.

Ainsi
Abrévions le tubercule,
Pour en être tout autant grandi.

Ensuite
Bravons l’étendue et rions de douceur,
Si ce n’est qu’il faut serrurer à l’extrême.

Et puis
Louons les mobiles de nos perditions terriblement gaies,
Et visitons du nouveau au cœur de nos girouettes.

Parfois aussi,
L’oiseau charme de son crissement
Les larges empreintes du lieu glissant.

Parfois aussi,
Il se siffle sans souffle
À l’accès d’un naufrage tapi.

Parfois aussi,
Il ne reste au pied du tendre lit
Qu’une jouvence inanimée.

Car c’est ainsi qu’il s’accomplit
Dans l’aujourd’hui pour tous nos demain.

E.P

vendredi 24 avril 2009

À TABLE!

"Il faut que la bourgeoisie comprenne bien
que ceux qui ont souffert sont enfin las
de leurs souffrances; ils montrent les dents
et frappent d'autant plus brutalement
qu'on a été brutal avec eux."


Emile Henry

dimanche 22 février 2009

DES ÎLES AUX TRÉSORS

"À Bientôt, ici ou ailleurs,
peut-être pas."

Erictus Pithécanthropus






Le pithécanthrope lève l’encre pour un temps

Il y a bien des trésors quelque part

Aussi

Il entend les mouettes dans le jardin...


E.P

samedi 21 février 2009

AVEUGLE

"Ils ont des yeux et ne voient point..." *

Henri-Jean Closon




Aveugle
Que ne vois-tu en conique
Cassant le glaive
De plates formes obliques.

E.P


(Extrait de "Casse-tête chérubins." 1994-*Citation faite de mémoire)

mardi 20 janvier 2009

MERCI



Merci aux braves gens qui de leur bravoure nous noient dans la contrainte.

Merci aux hommes silencieux de nous parler sans lèvres.

Merci aux autres de nous écouter sourdement.

Merci aux corbeaux de nous dactylographier si bas.

Merci aux faux-semblants de revenir si souvent à la charge.

Merci aux tristes sirs de nous considérer comme une faiblesse.

Merci aux regards haut placés de se détourner de nous.

Merci à la disparition de nous décorer sans subtilité.

Merci aux apparitions élancées de nous parfaire en un éclat magique et invisible concevant qu’il nous est perméable de nous restreindre de six pieds paralytiques avec nos flammes mal aguerries et toutes leurs ambivalences qui pour un rire nous réchauffent les dents serties de goûts amères en ces temps de macabres semailles.

Merci aux marques tutélaires merci l’auvent merci sans charme merci l’influence masquée merci la trappe merci aux secoures des ténèbres.

Merci aux rêves et ceci est sincère.

Merci l’insidieux effacement.


E.P

mardi 13 janvier 2009

COUPS

Comme d’un coup

Ma tristesse est pleine d’yeux
Où mon regard se perd
Des crimes que je te pardonne
Et mes crises sans limite
Ton charme me fait peur
Brûlant sur mes membres

Coup faim

Ils nous traînent
De mensonges en mensonges
Ne coupent pas notre faim
Ils nous ignorent
Ils subliment le pain
Ils gardent nos mains

Coup pente

Tu sirote les espoirs
Rien n’est pris en compte
Un coup
Une pelletée
Ou alors une carpe
Ou une citerne vide


Et au large de l’espace
La misère
La misère



E.P

mercredi 7 janvier 2009

LÀ-BAS LES OMBRES

"Je sus tout de suite que cette grotte avait été construite par des hommes qui l'utilisaient dans le dessein d'y appliquer des régimes imaginés par eux-mêmes, des régimes fatals pour l'un d'entre eux (il devaient être nombreux là-bas, dans l'ombre), mais bénéfiques pour les autres. c'était ainsi, j'en étais sûr! Une sorte de religion qui réclamait un holocauste, ce qui naturellement ne me surpris pas."

Italo Svevo




(Texte extrait de "Le vin du salut" Italo Svevo,1927. Dessin E.P)